par GEORGY BOUFFARD
Licencié en Histoire
Note: Cet article a été publié par la Société d'histoire et de généalogie de Matane dans sa revue "l'histoire
au Pays de Matane" volume X numéro II page 5, (juillet 75). J'ai fait une mise à jour de l'article puisque le pont Durette à été démolie en mars 1979. Je remercie la SHGM et son président M. Georgy Bouffard qui m'a permis de publier cet article sur mon site.
Le Pont Durette, cinquantenaire, a survécu. Il est tout juste de rappeler que cela est dû à la compréhension des édiles de la Municipalité St-Jérôme de Matane, à la collaboration du député de Matane à l 'Assemblée Nationale, Marc-Yvon Côté, sans oublier bien sûr, l'action dynamique de la Société d'Histoire de Matane.
Depuis les débuts de l'occupation du territoire de Matane et des berges de la rivière Matane, six emplacements de ponts (1) ont été fixés sur ce cours d'eau. Le premier pont, construit au centre de Matane, fut érigé après 1837. (2) C'était un pont de bois ordinaire. Les cinq autres ponts, qui enjambent la rivière sur plus de 20 milles, ont été des ponts couverts en bois et furent tous érigés dans le deuxième quart du vingtième siècle, c'est-à-dire entre 1925 et 1950. Voici par ordre chronologique de construction la liste de ces ponts couverts :
1- Pont Durette, 1925. (Démoli en mars 1979)
2- Pont Rouge, 1931. (Démoli en juin 1965)
3- Pont de la coulée Carrier (menant à Sainte-Paule), 1936.
4- Pont de saint René-Goupil, 1942.
5- Pont Chassé, 1945 (le troisième pont à cet endroit).
Un seul de ces ponts couverts a été démoli jusqu'à ce jour, soit en fin de
juin 1965 le Pont Rouge, le dernier en amont, à l'extrémité sud de saint René-Goupil. Deux servent encore à toute circulation : le Pont Chassé, et celui situé au centre du village de saint René-Goupil. Enfin, deux sont encore debout mais fermés, à la circulation parce qu'on a construit près d'eux des ponts en béton : le Pont de la coulée Carrier et le pont Durette. Ce dernier devait être démoli au printemps de 1975. Consciente de la valeur de ce pont comme vestige historique, comme attrait touristique et comme utilité pour les piétons de l'endroit, la Société d'histoire de Matane a réussi grâce à un appui massif de la population (plus de 2,000 noms sur une pétition) à le sauver de la démolition. Nous donnerons dans les lignes qui suivent quelques renseignements sur ce pont couvert en bois.
1. HISTORIQUE DU PONT DURETTE
Le Pont Durette traverse la rivière Matane au lieu nommé Grand Détour à
4.2 milles du pont de la ville de Matane. Lorsqu'il a été érigé en 1925, il répondait à un réel besoin, les résidents du secteur étaient nombreux et ceux qui demeuraient du côté Ouest du cours d'eau étaient défavorisés : en hiver surtout, la route de ce côté devenait souvent impraticable et la rivière faisait office de voie de circulation. En été, pour les communications entre les deux rives, on utilisait des chalands et il y avait même vis-à-vis de la Fromagerie Durette un filin d'acier qui était suspendu au-dessus de la rivière et auquel on accrochait les "cannisses" (3) de lait des cultivateurs de la rive opposée pour les transporter (4). Donc, les communications entre les deux rives au Grand Détour comportaient beaucoup d'inconvénients, de difficultés et de risques. On songea donc en 1925 à la construction d'un pont.
On avait d'abord prévu la construction de cet ouvrage à l'emplacement actuel du pont de béton construit en 1973. Cette partie de la rivière était la plus
étroite et les sorties du pont auraient été plus commodes. Mais à cause des
pressions des propriétaires du Moulin Durette et de la Fromagerie Durette (5) et de résidents du secteur, il fut construit à l'endroit que l'on connaît aujourd'hui. Le Pont Durette doit donc à ces gens son titre de pont couvert ayant la plus longue portée libre au Québec, soit 158 pieds !
C'est le Gouvernement du Québec, par son Ministère de la Colonisation, qui
entrepris la réalisation de ce pont couvert en bois. Il fut conçu selon des plans d'ingénieurs (il est du type TOWN comme les autres ponts couverts de la rivière Matane et la majorité de ceux du Québec). Le bois fut fourni gratuitement par des résidents de Saint-Léandre et du Grand Détour et le Moulin Durette le scia sans frais. Le Ministère de la Colonisation on assuma, quant à lui, le salaire des hommes et toutes les autres dépenses. Sa construction dura tout l'automne de 1925 et sa bénédiction eut lieu le 6 décembre. Il ne fut pas officiellement baptisé et son nom de "Pont Durette" lui est venu par la suite naturellement : il était situé sur la terre de M. Epiphane Durette et plusieurs résidents des alentours avaient le nom patronymique de "Durette" (6).
(PHOTO) à venir
Le Pont Durette au Grand Détour, lors de sa construction. On voit bien ici la structure du pont qui est du type TOWN (du nom de l'ingénieur qui a conçu ce plan de pont). Tous les ponts couverts du Québec sont ainsi faits.
Le Pont Durette fut arraché de ses piliers (le pilier ouest ayant cédé le
premier) lors d'une crue exceptionnelle de la rivière Matane au printemps de 1936. L'embâcle de glaces s'est faite au pont le soir du.19 mars 1936 et la débâcle s'est produite le lendemain le 20 vers 11 heures de l'avant-midi. Il descendit alors tranquillement la rivière du côté ouest et est allé s'échouer dans un contour de celle-ci appelé communément "écorchis", à environ un mille et demi en aval de son emplacement, devant la maison occupée alors par madame veuve Etienne Pellerin (née Delphine Harrisson). Cette maison était située à quelques cents pieds de l'écluse de la Compagnie Hammermill Paper. Par mesure de précaution, le pont fut attaché à cette maison sur la façade de laquelle madame Pellerin suspendit une image du Sacré-Coeur ; les eaux de la rivière étaient très fortes, et la descente des glaces et des billots exposaient le pont à aller s'échouer dans la dite écluse qui n'aurait pu résister à la pression.
Cette bonne dame Pellerin a sans doute beaucoup prié, car, en réalité, ce
n'est pas sa maison seule qui aurait pu retenir ce pont dans les conditions qui
prévalaient alors ; elle aurait pu être arrachée de ses fondations et traînée comme un fétu de paille.
Le Pont Durette fut démoli là où il s'est immobilisé, et le bois transporté à
son endroit primitif ; il fut reconstruit avec piliers quatre pieds plus élevés. Sa démolition à l'endroit ou il s'était échoué en 1936 était devenu obligatoire parce qu'impossible de lui faire remonter le courant de la rivière jusqu'à son emplacement primitif. Bien qu'ayant subi plusieurs assauts depuis sa reconstruction, le pont a pu résister jusqu'à ce jour. C'est en réalité le deuxième pont construit à cet endroit mais avec le bois du premier.
En 1961, une requête des résidents du Grand Détour demandait la construction d'un pont de béton pour améliorer la circulation. En 1973, le Ministère de la Voirie construisit ce nouveau pont à 0.8 mille en aval du Pont Durette. Le Gouvernement remit alors le pont couvert entre les mains de la municipalité de la Paroisse Saint-Jérôme. Prétextant qu'il est onéreux à conserver, la municipalité décida en 1974 de le démolir. Suite à des pressions, en retarda sa démolition mais entre temps, il y eu démission et élection au Conseil de la Paroisse à propos de ce pont ! Finalement en janvier 1975, on voulut passer définitivement à l'action. C'est alors que la Société d'histoire de Matane entreprit une campagne de sensibilisation de l'opinion publique visant à la préservation de ce pont et à sa prise en charge par le Gouvernement. On utilisa les médias locaux d'information, on participa et intervint lors de réunions du Conseil municipal de Saint-Jérôme et on fit circuler une pétition. Le 24 janvier 1975, à la demande du député provincial qui voulut faire de la conservation du Pont Durette une "affaire personnelle", la Société d'Histoire de Matane présenta aux autorités gouvernementales un mémoire.
2. VESTIGE HISTORIQUE
La SHM considère le Pont Durette comme un monument historique. Il est
cinquantenaire et dans une région jeune comme l'est la région de Matane où les
témoins du passé sont un peu âgés et si peu nombreux, on doit prendre ce fait en considération. Selon de Ministère des Affaires Culturelles, le Pont Durette
possède certaines particularités qui le classent à part des autres ponts couverts et en augmentent sa valeur historique :
2. Gagnon, Mgr Antoine : Monographie de Matane, page 118.
3. Le mot "canisses, veut dire : "gros bidon pour contenir le lait".
4. Entrevue avec M. Narcisse Durette, Grand Détour, mars 1975
5. Ces deux industries étaient propriétés de M. Joachim Durette et ses fils Eleuthère, Joseph et Alphonse.
6. Entrevue avec M. Narcisse Durette, Grand Détour, mars 1975
7. Correspondance entre M. André Castonguay, représentant du MAC à Rimouski et M. le Maire de la Paroisse St-Jér6me de Matane, le 8 avril 1974.
8. Ces éléments de preuve se retrouvent dans la Correspondance citée précédemment.
9. Ces chiffres ont été fournis par la Municipalité de la Paroisse de St-Jérôme de Matane, janvier 1975.
10. Robert Desrosiers, ing., Pont : objet utile et agréable à percevoir dans le déroulement naturel de
la route, dans "L'Equipe", vol. 3, no 2, février 1973, page 24.
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